Il y a ces journées dont il ne parle pas. Elles sont pourtant récurrentes.
Logan, par habitude ou pudeur, ne parle jamais à ses proches des moments où ça ne va pas. Personne ne le connaît sous l’angle peu flatteur d’un jeune homme de vingt-cinq ans qui traîne derrière lui un lourd bagage émotionnel ; alors aujourd’hui, inclinons la caméra, et risquons-nous à effectuer la mise au point sur ce qu’il ne voudrait pas qu’on voie.

Logan n’a pas le moral. Son psy appelle ça des « moments de down », avec un accent anglais si grinçant que ça le fait marrer à chaque fois. « Daoune. » Mais là, Logan ne rigole pas vraiment. Dans sa tête grouillent des pensées intrusives qui prennent tant de place qu’il s’en retrouve amorphe, sonné.
Il est vingt-trois heures et il n’a pas décroché un mot de la journée. Il n’est pas sorti de chez lui non plus, trop occupé à ruminer de vieux reproches, à composer avec la litanie de diatribes que son inconscient s’applique à lui infliger. « Je suis vraiment une merde », conclut-il quelque part dans son esprit, des mots martelés déjà cent fois, tandis qu’il se glisse sous les draps en espérant la compagnie du Chat. Il n’a pas à patienter longtemps, puisque l’animal, attaché à ses propres habitudes, a tôt fait de le rejoindre en ronronnant.

Souvent, ses soirées finissent ainsi : caressant distraitement le pelage roux de son colocataire à quatre pattes, Logan se plaît à végéter sur son smartphone, scrollant mécaniquement le fil d’actualité d’Instagram, le visage éclairé par une lumière bleuâtre qui lui donne un teint malade. Ses yeux, endormis, éteints, balayent l’écran comme par automatisme, tandis que l’application défile, défile à n’en plus finir, et se fixe parfois, le temps d’une seconde, le temps d’un like déposé sur un paysage urbain. On le connaît cultivé, friand des livres et des films d’auteur, mais il est des jours où Logan s’applique à s’abêtir, car ces applications, véritables décharges de dopamine instantanées, le coupent de toute réflexion, de tout ce qu'il se passe au-dehors quand il n’existe pas — et c’est là tout ce qu’il désire le plus ardemment : ne plus exister.

Demain, ça ira mieux. Il arpentera les rues, imposera sa présence, rappellera au monde qu’il existe quand bien même on n’a jamais voulu de lui ; mais ce soir, dans la pénombre de sa chambre, Logan est ce petit garçon qui se recroquevillait inexorablement dans son lit, les nuits où le dortoir du foyer était trop dur à supporter.